23 mars 2016

Coup de coeur littéraire


Quelques extraits de ce si bon livre En attendant Bojangles 
qui fait tourbillonner et chatouiller notre émotivité.




"Son comportement extravagant avait rempli toute ma vie, il était venu se nicher dans chaque recoin,
il occupait tout le cadran de l'horloge, y dévorant chaque instant. Cette folie, je l'avais accueillie les
bras ouverts, puis je les avais refermés pour la serrer fort et m'en imprégner, mais je craignais qu'une
telle folie douce ne soit éternelle. Pour elle, le réel n'existait pas. J'avais rencontré une Don Quichotte
en jupe et en bottes, qui, chaque matin, les yeux à peine ouverts et encore gonflés, sautait sur son
canasson, frénétiquement lui tapait les flancs, pour partir au galop à l'assaut des ses lointains moulins
quotidiens. Elle avait réussi à donner un sens à ma vie en la transformant en un bordel perpétuel.
Sa trajectoire était claire, elle avait mille directions, des millions d'horizons, mon rôle consistait à faire
suivre l'intendance en cadence, à lui donner les moyens de vivres ses démences et de ne se préoccuper
de rien."

"D'elle, mon père disait qu'elle tutoyait les étoiles, ce qui me semblait étrange car elle vouvoyait
tout le monde, y compris moi. Ma mère vouvoyait également la demoiselle de Numidie, cet oiseau
élégant et étonnant qui vivait dans notre appartement, et promenait en ondulant son long cou noir,
ses houppettes blanches et ses yeux rouge violent, depuis que mes parents l'avaient ramenée d'un
voyage je ne sais où, de leur vie d'avant. Nous l'appelions "Mademoiselle Superfétatoire" car elle
ne servait à rien, sauf à crier très fort sans raison, faire des pyramides rondes sur le parquet,
ou à venir me réveiller la nuit en tapant à la porte de ma chambre de son bec orange
et vert olive. Mademoiselle était comme les histoires de mon père, elle dormait debout, avec la tête
cachée sous son aile."

"Le salon était vraiment dingue. Il y avait deux fauteuils crapaud rouge sang, pour que mes parents
puissent boire confortablement, une table en verre avec du sable de toutes les couleurs à l'intérieur,
un immense canapé bleu capitonné sur lequel il était recommandé de sauter, c'est ma mère qui me
l'avait conseillé. Souvent elle sautait avec moi, elle sautait tellement haut qu'elle touchait la boule
en cristal du lustre aux mille chandelles. Mon père avait raison: si elle le voulait, elle pouvait réellement
tutoyer les étoiles. En face du canapé, sur une vieille malle de voyage pleine d'autocollants de capitales,
se trouvait un petit téléviseur moisi qui ne fonctionnait plus très bien. Sur toutes les chaînes passaient
des images de fourmilières en gris, en noir, en blanc. Pour le punir de ses mauvais programmes,
mon père l'avait chapeauté d'un bonnet d'âne. Parfois, il me disait:
- Si tu n'est pas sage, j'allume la télévision !"

"Sur la commode du salon, devant un immense cliché noir et blanc de Maman sautant dans une
piscine en tenue de soirée, se trouvait un beau et vieux tourne-disque sur lequel passait toujours le
même vinyle de Nina Simone, et la même chanson: "Mister Bojangles". C'était le seul disque qui avait
le droit de tourner sur l'appareil, les autres musiques devaient se réfugier dans une chaîne hi-fi plus
moderne et un peu terne. Cette musique était vraiment folle, elle était triste et gaie en même temps,
et elle mettait ma mère dans le même état."

"Maman me racontait souvent l'histoire de Mister Bojangles. Son histoire était comme sa musique:
belle, dansante et mélancolique. C'est pour ça que mes parents aimaient les slows avec Monsieur
Bojangles, c'était une musique pour les sentiments. Il vivait à la Nouvelle-Orléans, même si c'était
il y a longtemps, dans le vieux temps, il n'y avait rien de nouveau là-dedans. Au début, il voyageait
avec son chien et ses vieux vêtements, dans le sud d'un autre continent. Puis son chien était mort,
et plus rien n'avait été comme avant. Alors il allait danser dans les bars, toujours avec ses vieux
vêtements. Il dansait Monsieur Bojangles, il dansait vraiment tout le temps, comme mes parents.
Pour qu'il danse, les gens lui payaient des bières, alors il dansait dans son pantalon trop grand, il
sautait très haut et retombait tout doucement. Maman me disait qu'il dansait pour faire revenir
son chien, elle le savait de source sûre. Et elle, elle dansait pour faire revenir Monsieur Bojangles.
C'est pour ça qu'elle dansait tout le temps. Pour qu'il revienne, tout simplement."

"Elle avait de drôles de fous rires malheureux."

"C'est vraiment différent de pleurer en plein jour, c'est un autre niveau de tristesse."

"…on mangeait plein de fruits, le jour, la nuit, on buvait des fruits, en dansant."

"- Quand la réalité est banale et triste, inventez-moi une belle histoire, vous mentez si bien,
ce serait dommage de nous en priver.
Alors je lui racontais ma journée imaginaire et elle tapait frénétiquement dans ses mains en gloussant:
- Quelle journée mon enfant adoré, quelle journée, je suis bien contente pour vous, vous avez dû
bien vous amuser !
Puis elle me couvrait de baisers. Elle me picorait disait-elle, j'aimais beaucoup me faire picorer par elle.
Chaque matin, après avoir reçu son prénom quotidien, elle me confiait un de ses gants en velours
fraîchement parfumé pour que toute la journée sa main puisse me guider."

2 commentaires:

  1. oh ! je l'ai acheté hier, ce sera ma lecture du week-end ^_^

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    1. Oh ! Quelle chance de le découvrir !
      Bonne lecture, bon week-end !

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